Balme : le pays des guides alpins

Images, documents et objets de l’Écomusée « Antonio Castagneri » de Balme

Balme connut son heure de gloire entre les XIXe et XXe siècles quand nombre de ses habitants embrassèrent la profession de guide alpin et accompagnèrent les pionniers de l’alpinisme turinois et italien à la découverte des plus hautes cimes des Alpes Occidentales. Les Balmais d’alors furent les protagonistes d’une grande épopée encore lisible à travers les collections de photos d’époque, documents, affiches, objets, maquettes et équipements d’alpinistes. Mais le Musée de Balme veut aussi raconter une histoire plus ancienne, celle de l’implantation d’une petite communauté dans un milieu de haute montagne, grandiose et sévère, souvent hostile, où l’hiver dure huit mois, où la neige vient parfois obscurcir les fenêtres, où les céréales n’arrivent pas à maturation et où même le fourrage pour les animaux était arraché à grand peine aux parois rocheuses dominant le village.

Des événements lointains et parfois dramatiques, ceux que connut la communauté balmaise, depuis la fondation du village par des bergers venus de la Savoie à l’immigration au Moyen- âge de mineurs bergamasques et valsesians, jusqu’au moment où les activités minières se tarirent et qu’il fut nécessaire, comme unique ressource, d’avoir recours au commerce à large échelle avec la Savoie voisine.

Accoutumés à traverser été comme hiver des cols glaciaires à plus de trois milles mètres d’altitude, portant sur leurs épaules de lourdes charges de riz et de sel, de café et de tabac, les Balmais furent parmi les premiers à se transformer en guides alpins appréciés alors que débutait la grande saison de l’alpinisme dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les pionniers du ski débutèrent aussi à Balme dans les années à cheval sur le siècle et pour quelques décennies, le village réussit à s’affirmer parmi les stations touristiques piémontaises les plus recherchées.

Aujourd’hui l’âge d’or de Balme est désormais lointain, mais le village garde sa fascination pour ceux qui recherchent en montagne un milieu naturel intact et une culture alpine encore vivante et spontanée, toujours lisible dans la langue franco-provençale, dans la musique, la danse, les costumes traditionnels.

De cette culture, le Musée présente documents et témoignages.
La visite se complète d’un parcours didactique de caractère ethnographique et naturaliste.

-Parcours de visite de l’écomusée
1 Antonio Castagneri (1845-1890) dit Toni dìi Touni 2 Antonio Boggiatto (1844-1911) dit Lou Gloria

2) Église paroissiale

L’église paroissiale de Balme

La Djésia d’Bàrmess

Le lieu de culte le plus ancien du village est probablement celui de la chapelle dite « du Suaire », construction rustique encore visible face à la maison forte du Routchàss, qui existait déjà au XVe siècle. Elle fut ensuite déconsacrée, vouée au rôle d’étable quand, en 1612, fut constituée la paroisse de Balme et édifiée la première église paroissiale. Celle-ci se dressait en amont du temple actuel ; c’était certainement une construction très modeste et il n’en reste plus que la pierre ornée d’une croix au sommet du clocher avec la date 1619. L’église actuelle, dédiée à la Sainte Trinité est le fruit d’un don de l’Archevêque Francesco Luserna Rorengo de Rorà qui lors de sa visite pastorale en 1769 s’était ému de la misère dans laquelle vivait la population de Balme, déjà alors la plus haute commune du diocèse de Turin.

Pour construire la nouvelle église, on choisit un lieu alors inhabité, protégé du péril des avalanches par l’éperon rocheux de la Bàrma. Pour cette construction, on dut creuser profondément la montagne et toute la population participa avec ardeur aux travaux.
L’église, en forme de croix grecque et de sobre style baroque, fut consacrée en 1775 et porte encore sur son portail le blason de l’archevêque Luserna ainsi qu’une pierre qui lui est dédiée.

Dans le même corps de construction, sur le côté oriental, fut creusée l’habitation du curé qui pouvait descendre en sacristie par un petit escalier sans passer par le dehors, un aspect important surtout par fortes chutes de neige.
Sur le côté opposé, vers le chef-lieu, furent creusés les locaux où sont conservées aujourd’hui les collections de L’Écomusée des Guides Alpins et qui abritait autrefois le siège de la commune et l’école (où souvent le curé servait de maître). À une époque plus récente, ce fut aussi le local de la fanfare de Balme.

3 L’église paroissiale de Balme
4 La fanfare devant l’ancienne école (vers 1930)
5 Les institutrices et leurs élèves devant l’ancienne école (vers 1920)

3) Les murs de la chapelle près de la route
La Chapelle Sainte Anne

Tchapèla d’Sant Ana

La Chapelle Sainte Anne, patronne du hameau des Cornetti, est déjà citée en 1674, mais la construction dans sa forme actuelle remonte à 1811. Le culte de Sainte Anne, mère de la Vierge Marie, est particulièrement répandu dans les hautes vallées et tient peut-être son origine des « Matres » ou « Matronae », divinité d’origine celtique dont on trouve les traces dans divers lieux de l’arc alpin.

Dans cette chapelle, sont conservés d’intéressants ex-voto, expression pittoresque de la religiosité populaire, nous léguant des histoires de guérison, de périls évités, accidents, guerres, du XVIe siècle presque jusqu’à nos jours. Certains d’entre eux, comme ceux invoquant l’intervention divine pour la guérison de la vache malade, nous renseignent efficacement sur la vie quotidienne à Balme aux siècles passés, avec une référence particulière à la cohabitation avec le bétail.

La fête de Sainte Anne a lieu le dernier dimanche de juillet, célébrée avec une procession solennelle qui part de l’église paroissiale. Une grande partie de la population du hameau y participe et de nombreux émigrés rentrent au village expressément pour cet événement. La statue de la Sainte est transportée par les jeunes filles du village et de nombreux Balmais revêtent à cette occasion l’ancien costume du lieu. Jusqu’à 1990, la procession était accompagnée par un carillon particulier (la baoudàtta), exécuté en sonnant les cloches paroissiales alternativement avec un marteau et une pierre.

6 La fête de Sainte Anne (vers 1990)
7 Ex-voto (XVIIIe siècle)
8 Procession de Sainte Anne (27 juillet 1919)

4) Une des maisons donnant sur la placette

Placette du hameau des Cornetti

L’airàtta

Le hameau des Cornetti de Balme (Li Cournàt) est l’un des habitats permanents les plus élevés des Vallées de Lanzo (1446m) et reste l’un des rares villages ayant gardé leur implantation d’origine, épargné des éventrations rendues ailleurs nécessaires par la construction de la route carrossable.

Le petit village existait déjà au XIIIe siècle quand vinrent s’y établir, comme en d’autres lieux des vallées de Lanzo, des groupes de mineurs et de forgerons d’origine bergamasque et valsésienne pour travailler dans les mines de fer.
L’implantation se développa lentement au cours des siècles et il est encore possible de reconnaître, au centre du hameau, les maisons les plus anciennes avec leurs étables profondément enterrées et les fenêtres au niveau du sol pour se défendre du froid. Les habitants y vivaient avec leur bétail pendant le long hiver. Les habitations, construites après le XVIIe siècle, quand le tarissement des activités minières rendit nécessaire la reconversion à l’agriculture, sont plus hautes et pourvues de longs balcons où l’on mettait à sécher les céréales souvent récoltées avant complète maturation à cause de l’altitude. Les ruelles du hameau (quintàness) sont étroites et tortueuses pour se défendre du vent et de la tourmente, tandis que les toits pentus, couverts de lourdes dalles de pierre, protègent des abondantes précipitations de neige.

Au cœur du hameau se trouve la placette, dite Airàatta (petite aire) où l’on battait les ceréales et où se trouvait aussi le restaurant, transformé ensuite en magasin d’alimentation. L’une des maisons laisse à voir le blason des Castagneri, nom encore le plus répandu à Balme, sur lequel figure le châtaignier, là accompagné du dicton latin pasco bonos pungoque malos (« je nourris les bons et pique les mauvais ») avec la référence à la bogue de châtaigne).

Dans une ruelle, on peut encore voir l’enseigne du cordonnier où les alpinistes allaient faire ajouter quelques clous à leurs chaussures avant d’affronter les courses les plus engagées.

9 Transport du bois à l’aide de la luge (1999) 10 Le hameau des Cornetti (1910)
11 Le hameau des Cornetti (1880)

5) Maison donnant sur la placette
Fontaine du Corno

Batchàss dou Corn

La vasque de la fontaine du Corn, à l’instar de la corne de bouquetin qui la surmonte, est relativement récente, mais son nom est très ancien et remonte droit à la famille Cornetti déjà référencée au XIIIe siècle et qui donna son nom au hameau. L’eau, particulièrement froide, est retenue comme d’excellente qualité ; elle arrive d’une source qui se trouve dans le bois au-delà du torrent, autrefois canalisée par une conduite de tubes en bois de mélèze, encastrés l’un dans l’autre (bournèl).

On trouve, face à la fontaine, une vieille étable, encore en usage, surmontée d’une fresque rustique représentant la Vierge et les Saints. Lors des épidémies de peste, ce local , d’une ampleur insolite, avait fonction de lazaret. Ceci advint pour la dernière fois en 1919, à l’occasion de la grippe espagnole.

On peut observer à son flanc un beau balcon de bois dont les planches présentent le nom gravé du propriétaire CASTAGNERI GIO PIETRO.
En 1995, la ruelle principale du hameau fut pavée avec une grande maîtrise par un ancien de la vallée, Giovanni Cristoforo, dit Ninétou, en utilisant la technique antique du stèrni (pierres cassées et enfoncées dans la terre), plus adapté que bien d’autres matériaux modernes, à supporter les mouvements d’un terrain qui reste gelé six mois par an à plus d’un mètre de profondeur.

12 Giovanni Cristoforo occupé à la construction du pavage (1995) 14 Le hameau des Cornetti (vers 1920)

14 bis Bruno Castagneri et la mule Gina (vers 1965) 6) Murs de la maison du Gouiàt

La cascade La Gorgia

La Gòrdji

Cette maison, dite lou Gouiàt du petit étang (lou gòi) qui se trouve aux environs et où l’on faisait rouir le chanvre, fut achetée par Antonio Castagneri avec les gains de son métier de guide. Il y habita à partir de 1878, année de son mariage.
Non loin de la maison, les eaux du Stura se précipitent en une cascade grandiose nommée La Gòrgia (la gorge). Le premier pont sur la cascade fut construit par le même Castagneri, à l’initiative du Club Alpin Italien qui voulait faciliter la vue de la chute d’eau. Aux environs, à la base des rochers raides sur lesquels se dressent les vieilles maisons du chef-lieu de Balme, se trouvent un moulin et quelques petites constructions (li veilìn) où l’eau froide du torrent refroidissait le lait en attente de sa transformation en beurre et fromage. Un peu plus à l’aval, sur la rive droite du Stura, une glacière, creusée au flanc de la gorge, conservait la neige depuis l’hiver à l’année suivante, aussi grâce au souffle glacé de la cascade.

Un canal de dérivation alimentait par une conduite forcée une petite centrale électrique à la base de la chute ; elle fut inaugurée en 1909 et fonctionne encore aujourd’hui, parmi les plus anciennes encore existantes.

15 Le vieux centre de Balme du côté du torrent
16 Sur le pont de la cascade
17 La centrale électrique de Balme (2 septembre 1923)

7) L’ancien emplacement de l’hôtel
L’hôtel Camussòt

Lou Trutchàtt

L’hôtel Belvédère Camussòt, l’un des lieux de référence de l’alpinisme turinois, entra dans l’histoire en décembre 1874 quand Alessandro Martelli et Luigi Vaccarone y passèrent la nuit avant d’accomplir l’ascension de l’Uja de Mondrone, course mémorable qui signa les débuts de l’alpinisme hivernal italien. À cette époque, l’hôtel était encore une modeste pension avec une pièce unique en rez-de-chaussée servant de cuisine et de salle à manger avec quelques chambres glaciales à l’étage.

On peut encore voir aujourd’hui l’ancienne enseigne avec la date de 1817 et le blason des propriétaires, la famille Drovetto, sur lequel figurent trois roues de rouet (version française du nom Du Rouet).
Les succès de l’hôtel commencèrent avec ceux de Giacomo Bricco dit Camussòt, guide alpin qui se fit hôtelier après avoir épousé la fille du dernier gérant de la pension et surtout avec leur fils, Stefano Bricco, qui créa dans les premières années du XXe siècle, un véritable empire hôtelier hébergeant la meilleure société turinoise de l’époque. Les années entre 1920 et 1930 virent l’apogée des succès de l’hôtel Camussòt qui devint le point de ralliement d’importantes manifestations sportives et culturelles.

Le registre de l’hôtel conservé aujourd’hui au Musée National de la Montagne à Turin contient de nombreux et beaux noms de l’alpinisme italien et européen, outre les témoignages du passage de nombreux représentants du monde de la culture, comme Giosué Carducci, du spectacle comme Eleonora Duse et de la science comme Guglielmo Marconi.

18 Guides de Balme et touristes au départ d’une excursion (1887) 19 L’hôtel Camussòt
20 Publicité de l’hôtel Camussòt

8) Une des maisons donnant sur la place
Placette des Aires

Ls’Airess

Le nom Ls’Airess signifie « les Aires » et sert à indiquer le lieu où l’on battait le seigle et l’orge, les seules céréales dont la culture était possible à l’altitude de Balme (et qui parfois n’arrivaient pas à complète maturation). Pour ne pas perdre même un seul grain de la précieuse récolte, on étendait sur le sol de grandes toiles de chanvre où l’on disposait les épis qui étaient ensuite battus avec deux bâtons liés par un lacet de cuir. L’opération était exécutée soit par des hommes, soit par des femmes (ces dernières portaient pour les travaux des champs de grands chapeaux de feutre noir).

Aux siècles passés, les Aires étaient la plus grande place du village et c’était aussi le lieu où se déroulait le bal public pendant les fêtes du pays, soit les jours de la Sainte Trinité et du 15 août. À cette occasion, on dansait la courante (courènda) au son du violon après que les prieurs aient ouvert officiellement le bal (roùntri lou bal). Quelques-unes des maisons situées près des Aires présentent, côté amont, une structure massive en forme d’abside ou plus souvent de proue de navire, nommée localement tchòma (tourne) érigée pour rendre la construction plus résistante au choc des avalanches qui, lors de chutes de neige particulièrement abondantes, investissent le centre de l’habitat. Aujourd’hui un grand mur paravalanche en ciment armé construit en amont du village en 1964, protège, au moins en partie, la partie basse du chef-lieu.

Au sud de la placette, on peut observer un exemple de demeure rustique nobiliaire avec une belle porte ornementée de la lettre M, initiale de la famille Martinengo dont les membres sont menuisiers et ébénistes depuis de nombreuses générations. D’autres maisons aux environs présentent de belles décorations en bois sculpté.

21 Ls’Airess, bal à la fête de la Sainte Trinité (1898) 22 Battage des céréales (1898)
23 Battage des céréales

9) Mur de maison sous l’arc

La Chapelle du Suaire

Lou Rivòt dìi Bep

Les ruelles qui partent du vieux centre de Balme sont dites quintàness si elles sont planes, rivòt si elles montent. Étroites et tortueuses, elles protégent du vent et de la tourmente tandis que les toits bien pentus permettent le passage même à l’occasion de fortes chutes de neige.

La tradition retient que la construction donnant sur la route avec un arc caractéristique soit la maison la plus ancienne de Balme, probablement antérieure au XVe siècle. Elle abritait à l’origine la plus ancienne chapelle de Balme et conserve à l’intérieur des traces de fresques représentant un Christ Pantocratore et quelques saints dont Saint Jean-Baptiste, Saint Pierre et Saint Sébastien. L’accès s’en faisait à l’origine par l’amont.

Après la construction de la maison forte du Routchàss, au cours du XVIe siècle, la chapelle fut allongée et l’entrée donna sur la vallée avec la construction de l’arc.

Par la suite, en 1612, se constitua la paroisse et dans les années qui suivirent, on construisit plus en aval la première église paroissiale, tandis que la chapelle était déconsacrée et réduite à l’usage de cave et d’étable.
Il est retenu qu’en ce lieu de culte primitif, le Suaire ait été accueilli à l’occasion de son transfert de Chambéry à Turin en 1535. Sur la base de fresques conservées à Bessans (village savoyard confinant avec Balme) et sur le mur externe de la chapelle de Voragno de Cérès, des experts autorisés ont formulé l’hypothèse d’un transport de la relique par les hauts cols qui font communiquer la Haute Maurienne avec le Val d’Ala. Dans une période de crises graves du Duché de Savoie, le choix d’un passage par des vallées plus internes et traditionnellement plus loyales dans leurs rapports avec l’église catholique et la dynastie régnante aurait été suggéré par nécessité d’éviter les pièges des Vaudois et des Calvinistes.

24 Le guide Antonio Castagneri devant l’entrée de la chapelle (1888) 25 Le guide Antonio Boggiatto Gloria devant sa maison (vers 1887) 26 La procession du 15 août (1898)

10) Mur du Routchàss près du lavoir
La maison forte du Routchàss

Lou Routchàss

C’est en 1909 que commencèrent les travaux de l’aqueduc de Turin et le vieux centre de Balme fut éventré pour faire passer la route provinciale du Pian della Mussa. Le four, le lavoir et deux anciennes chapelles furent détruits, mais par chance la maison forte du Routchàss fut conservée, qui, depuis plus de quatre cents ans, domine la vallée du haut de la roche dont elle a pris le nom.

La construction est de typologie défensive, reconnaissable aux petites ouvertures et à l’entrée unique, étroite et basse, par laquelle on accède à un énorme et rustique escalier de pierre, puis à un long corridor sur lequel s’ouvrent de nombreuses pièces utilisées autrefois pour l’étable et l’habitation. Tout autour, s’ouvrent d’autres escaliers, des passages souterrains et des caves, en partie creusés dans la roche. De l’autre côté, inaccessible par le bas et tourné vers le soleil, le Routchàss s’ouvre au contraire en balcons couverts, qui dominent la gorge profonde où s’écoulent les eaux du torrent après le grand saut de la cascade. À l’étage supérieur, un gigantesque grenier abritait les provisions de fourrage nécessaires au bétail durant le long hiver.

Un toit imposant, soutenu par des poutres de diamètre énorme et recouvert de lauzes de pierre d’épaisseur inusitée, couvre la construction entière, permettant par le passé, avant les démolitions pour la construction de la route, d’accéder à la fontaine, au four, au lavoir et à la chapelle sans jamais sortir à l’air. Avantage non négligeable avec les grandes masses de neige qui périodiquement investissent Balme. C’est justement à cet endroit, l’après-midi du 18 janvier 1885, que Francesco Castagneri Minoùia (1869-1916) fut surpris par l’avalanche qui submergea le vieux lavoir. Le malheureux creusa pendant cinq heures une galerie de plus de dix mètres, s’ouvrant un chemin vers le salut.

27 Le Routchàss côté torrent
28 Le Routchàss avant l’éventrement
29 Un homme muni de raquettes à neige près du vieux lavoir (vers 1910)

1) mur près des fresques

La saga de Gian Castagnero

L’couìntess d’Gian dìi Lentch

Au fond du couloir du Routchàss, une porte permettait d’accéder à d’autres pièces plus secrètes jusqu’à un balcon dominant la vallée où est restée, gravée dans la roche d’une paroi, l’inscription du fondateur : ali 5 magio 1591 me jouan castagnero ho fato la pte casa laus deo.

Né à Voragno de Cérès d’une famille déjà ancienne de la vallée, Gian Castagnero (1550- 1643) que les Balmais évoquent comme Gian diìi Lentch, partit pour Balme où il fit rapidement fortune comme entrepreneur de mines et de forges, y acquérant même la noblesse. Dans le même temps, d’autres branches de la famille s’établirent en Savoie à Argentine et aux Hurtières où, toujours avec l’activité minière, ils devinrent encore plus riches et puissants (barons Castagneri de Chateauneuf).

Les fresques, en partie recouvertes d’enduit, représentent des scènes de Battiste (baptême de Jésus et cène du Roi Hérode) et furent exécutées pour célébrer les noces du fils Gioanino avec Anna Genoa d’Ala. Ces noces furent célébrées en 1601 au Routchàss grâce à une dispense de l’Evêque au motif que la mariée s’y trouvait et était gravement malade. Avec ce précédent, Gian Castagnero put obtenir l’autonomie de la commune (1610) et de la paroisse (1612) de Balme qui dépendait auparavant d’Ala di Stura.

La maladie de la mariée ne devait pas être si grave, puisque du mariage naquit une vraie légion d’enfants et petits-enfants qui absorbèrent rapidement toutes les autres familles de Balme, au point qu’aujourd’hui les Balmais sont tous en quelque sorte descendants de Gian Castagnero et que beaucoup portent encore son nom.

De curieuses légendes se racontent autour de ce lointain ancêtre, qui le veulent de stature gigantesque et d’astuce extraordinaire. On montre encore les souterrains où l’on dit qu’il fondait la monnaie avec l’or extrait d’une mine dont il connaissait seul le secret.

30 Inscription de Gian Castagnero (1550-1643)
31 Le vieux centre de Balme avant les démolitions
32 Février 1972 grande chute de neige sur le Routchàss (402 cm)

12)

Les Fré

Li Fré
Les Fré signifie « les forgerons ». Ce petit hameau fut de fait habité pendant des siècles par des artisans fondeurs engagés dans l’exploitation des gisements de pyrite ferreuse qui se trouvent à près de 3000m d’altitude dans le vallon de Servin. Le minerai était extrait, descendu sur les luges et ensuite soumis à une première fusion dans une forge dont il reste quelques traces sur le replat en dessous du hameau. Le fer une fois raffiné était ensuite transporté plus bas dans la vallée où il était utilisé pour la fabrication de serrures (à Cérès) et de clous (Mezzenile, Pessinetto et Traves). Au Moyen-âge, cette industrie attira là et en d’autres lieux des Vallées de Lanzo une immigration considérable surtout depuis la Valsesia et les vallées bergamasques. Au XVIIe siècle, le climat se fit plus froid, un petit glacier recouvrit les gisements et les mines furent graduellement abandonnées, aussi du fait de la rareté du charbon de bois nécessaire au travail du minerai. La population dut se reconvertir à l’élevage et à une pénible agriculture de haute montagne. Au cours du siècle suivant le hameau cessa d’être un habitat permanent et ne fut plus occupé qu’à la belle saison,

pendant la montée annuelle en alpage.
Les maisons des Fré, couvertes de lauzes cyclopéennes et construites avec une technique parfaites de murs à sec, témoignent de l’habileté des mineurs au travail de la pierre. Elles conservent encore une date gravée dans la pierre (1486 GAC) qui est une des plus anciennes de la vallée.

Aux environs du hameau et en suivant les indications du parcours nature, il est possible de voir les restes d’un alpage entièrement construit dans une cavité naturelle (Lou Casoùn) et la galerie d’une mine de talc qui fut exploitée jusqu’à la fin du XIXe siècle.
En amont des maisons, se dresse un oratoire dédié à Saint François et pour cette fête les Balmais se retrouvent volontiers pour une fête rustique à base de polenta, égayée par la musique traditionnelle de la vallée.

33 Soufflet du XVIIIe siècle
34 Dalle de pierre avec l’inscription « 1486 GAC » 35 Fête de Saint François aux Fré (1998)

13) Mur d’une maison

14) Mur d’une maison

Bogone

Bougoùn

Le petit hameau de Bogone était surtout habité au printemps et à l’automne comme étape des alpagistes. Il se trouve à mi-route le long du chemin muletier qui monte au Pian della Mussa, à quelques centaines de mètres à l’amont d’un beau pont de pierre, nommé justement de Bogone, construit en 1713 et parmi les rares ayant survécu aux crues. Les maisons sont profondément enterrées au côté amont tandis que les plus récentes sont protégées par une structure en proue de navire en défense des avalanches de neige qui, pendant l’hiver 1974, détruisirent l’ancienne chapelle. En poursuivant, près d’un alpage rustique, on peut voir l’« arpòsa dìi mort » (le repos des morts) : deux dalles de pierre verticales de chaque côté du sentier où l’on déposait le brancard utilisé au transport de ceux qui mouraient au Pian della Mussa ; une halte nécessaire pour reposer les épaules des porteurs, mais qui avait aussi une signification rituelle précise.

Les incisions du Cré dou Lou nous parlent d’un temps beaucoup plus ancien, on les trouve sur le versant opposé au sommet de la crête dominant la fontaine près de la route carrossable. Sont gravés noms, dates, phrases aussi en patois, mais aussi deux files mystérieuses de petites cupules creusées dans la roche.

Encore plus énigmatique et probablement encore plus ancien, s’avère le dit «autel druidique », grande masse tabulaire qui se trouve à quelques dizaines de mètres à l’aval des maisons, à droite du chemin muletier qui descend sur Balme. D’un grand billot de pierre au sommet de la roche partent de petits canaux creusés dans la roche pour aller s’écouler dans quelques grandes cavités circulaires. Semblable à d’autres roches à cupules que l’on trouve dans de nombreuses zones des Alpes Occidentales, la roche est identifiée par quelques spécialistes comme lieu de culte pré-chrétien.

36 Vue de Bogone prise du haut (vers 1930)
37 Inscriptions du Cré dou Lou
38 Andrea Castagneri (1848-1940) dit André dìi Touni (vers 1930)

Chialambertetto

Tchabertàt

Les maisons de Chialambertetto sont accrochées à un gigantesque éboulis qui semble glisser de la paroi sud de l’Uja de Mondrone. Le hameau est étroit entre deux raides couloirs parcourus, à chaque chute de neige importante, de grandes avalanches qui toutefois n’ont jamais touché les maisons, ni provoqué de victimes, comme cela est au contraire arrivé dans tous les autres hameaux de Balme. Ce n’est pas par hasard que la petite chapelle est dédiée à la Madone des Neiges dont la fête est célébrée le cinq Août.

Cette petite implantation, nommée à l’origine Forno di Ala, prit ensuite le nom de « casa » ou « campo » cité vers 1300, naquit au Moyen-âge comme forge pour le travail du fer et devint commune autonome du XIVe siècle jusqu’en 1844 où elle fut incorporée à la commune de Balme dont elle était précédemment une enclave. À l’origine, les maisons étaient situées plus en amont, à proximité du pont moderne à forme d’arche sur le torrent Stura, jusqu’à ce qu’un énorme éboulement ne l’emporte le 17 septembre 1665; les survivants la reconstruisirent plus en aval où il devait déjà y avoir quelques habitations. Ce fut aussi l’occasion d’agrandir la chapelle déjà existante dont la poutre faîtière indique de fait la date de 1677 ; la construction fut aussi orientée, non plus vers l’ouest, mais vers le sud, en direction des maisons nouvellement construites.

À l’extrémité du village, près du bassin des truites, se trouve un four ancien et caractéristique « en tumulus », très différent des autres fours de la vallée, généralement protégés par un toit de lauzes.
Il s’agit probablement d’un héritage des premiers habitants, mineurs et forgerons d’origine étrangère qui pour longtemps durent conserver leur identité ethnique et linguistique, comme cela se passa aussi à Forno di Lemie, autre village minier de la vallée de Viù.

Il est de tradition notoire qu’y étaient et y sont encore confectionnées les plus belles màiess dou bort, vestes de laine brodées caractéristiques du costume de Balme.

39 Habitants de la vallée ouvrant la route après une avalanche (vers 1950) 40 Entre les avalanches de Chialambertetto (1888)
41 Panorama de la conque de Balme et Chialambertetto (vers 1920)

15) Mur d’une maison

Molette – Molera

L’Moulàtess – La Mouléri

Les deux hameaux de Molette et de Molera gardent à travers leur nom le souvenir de carrières de pierres à moulins extraites et exportées un peu partout dans toutes les vallées de Lanzo. Le même nom se retrouve en celui de la famille Moletto qui habita ces lieux sur d’innombrables générations.

Molette est le premier hameau que l’on rencontre en entrant dans la commune de Balme, il apparaît juste avant une zone très exposée au péril des avalanches qui, par le passé à chaque forte chute de neige, provoquaient l’interruption des communications pour des périodes parfois prolongées. Avec la construction d’une bretelle routière sur le versant opposé de la vallée en 2002, la viabilité fut assurée même en condition de fort enneigement. Les maisons de Molera se dressent 200 m au-dessus, sur le bord d’un escarpement dominant la vallée. C’est sa position ouverte et ensoleillée qui vaut à ce hameau la définition de « riviéra de Balme ». Grâce à un microclimat particulièrement favorable, on y voit prospérer des essences arborées inhabituelles à l’altitude de 1500m au-dessus de la mer comme le marronnier d’inde, le cerisier et le noyer. C’est de ce hameau que, le 24 décembre 1874, partirent le guide de Balme Antonio Castagneri et deux alpinistes turinois Alessandro Martelli et Luigi Vaccarone pour l’Uja de Mondrone, initiant la saison de l’alpinisme hivernal italien.

Les deux hameaux ne sont plus habités en hiver, mais de nombreux émigrés y reviennent chaque fin de semaine et les mois d’été, perpétuant une occupation du territoire dont les origines remontent à la nuit des temps.

42 Ouverture de la route à travers l’avalanche (vers 1930) 43 La trattoria de Molette (24 août 1930)
44 Maisons à Molera (1998)

16)

Le refuge Città di Cirié

Le refuge Città di Cirié fut inauguré en 1953 ; il utilisait une petite caserne militaire qui servait aussi de station de départ pour le téléphérique du refuge Gastaldi détruit en 1945 lors des âpres combats qui accompagnèrent la dernière année de guerre dans les Alpes. Le téléphérique dont il reste encore quelques pylônes tordus, et dont on aperçoit au loin la station d’arrivée au Col delle Vigne, fut remis en marche pour une brève période pendant les travaux de reconstruction du refuge Gastaldi en 1970 avant d’être définitivement démantelé. Le refuge se dresse à l’extrémité de la route du Pian della Mussa, non loin du lieu où pendant l’été 1927, l’appel d’un berger inspira au musicien et alpiniste Toni Ortello la mélodie de La Montanara, le plus célèbre des chants de montagne.

En mémoire de cet événement qui scella la vocation alpestre de Balme et de toutes les Vallées de Lanzo, une plaque commémorative a été placée aux environs du refuge à l’initiative de Ugo Grassi, alpiniste et écrivain de montagne, qui fut pour des années un président passionné de la Pro Loco de Balme et de l’ATL Vallées de Lanzo.

89 Le refuge Città di Cirié (vers 1960)
88 bis Le Pian della Mussa avant la construction de la route (1898)

17)

Le refuge Bartolomeo Gastaldi

C’est en 1880 que fut construite, à l’initiative de la Section de Turin du CAI, la première cabane au Crot del Ciaussiné, nom indiquant l’existence d’une petite carrière de calcschiste utilisé pour produire de la chaux. Son heureuse position conduisit aux agrandissements successifs du refuge qui, en 1886, fut baptisé à la mémoire de Bartolomeo Gastaldi, président du CAI, géologue illustre et pionnier de l’exploration des Alpes Occidentales. En 1904, près de l’ancienne construction fut inauguré un refuge alpin grandiose à trois étages avec chauffage central et installation de l’eau courante.

La construction était en pierres, entièrement isolée en sciure et lambris de mélèze. C’est ce qui en causa justement la destruction avec un incendie éclaté accidentellement tard dans l’automne de 1908. Sa reconstruction fut très rapide et le refuge-hôtel reprit du service à plein rythme, muni dans les années 30 d’un téléphérique de service depuis le Pian della Mussa. Cette heureuse période dura jusqu’à la seconde guerre mondiale et s’interrompit inopinément durant le tragique hiver 1944-45. Les partisans qui s’étaient insurgés au printemps, dans l’espoir d’une arrivée rapide des alliés, subirent pendant l’été et l’automne une violente contre-offensive des troupes allemandes et républicaines. Guidés par les jeunes volontaires de Bessans et Balme, ils se retirèrent en combattant vers les hautes vallées et réussirent enfin heureusement à traverser les cols. De furieux accrochages eurent lieu entre les troupes de défense qui protégeaient le repli et les Allemands montés par le couloir d’Arnès leur couper retraite. Dans la nuit du 3 au 4 octobre, le refuge fut livré aux flammes. La vieille cabane, presque abandonnée depuis de nombreuses années ou utilisée seulement en refuge d’hiver, reprit du service, longtemps gérée par Giuseppe Ferro Famil appartenant à la fameuse dynastie de guides alpins des Vulpòt, native d’Usseglio, mais émigrée depuis longtemps à Balme. Sa figure imposante, avec de grandes moustaches en forme de guidon, caractérisa longtemps l’accueil rustique du vieux refuge Gastaldi près des murs noircis et des débris des lavabos et radiateurs du nouveau. Le refuge ne fut reconstruit qu’en 1970.

Pour la vieille cabane, s’annonçait une autre période d’abandon, mais le Musée National de la Montagne de Turin décida d’y constituer un local annexe avec l’objectif d’illustrer l’histoire de l’alpinisme de la vallée et de celle du refuge, parmi les plus anciens du CAI encore existants.

-35/1 Le vieux refuge Gastaldi en 1904
-35/2 Le nouveau refuge Gastaldi en 1904
-35/3 Le nouveau refuge Gastaldi : projet d’aménagement interne

Le Café Central

Depuis sa construction en 1775, l’église paroissiale de Balme resta pour plus d’un siècle isolée et loin du chef-lieu, protégée des avalanches par l’éperon rocheux de la Barma.
Ce ne fut qu’au début du XXe qu’arrivèrent les premières constructions autour de la petite place et parmi elles le Café Central, alors hôtel restaurant Delfino, succursale d’un autre établissement au Pian della Mussa.

L’auteur de la construction fut Gian Pietro Castagneri, dit Giampérou d’Bruna (1847-1929), figure intéressante d’entrepreneur et intellectuel montagnard, qui quitta très jeune le pays (son père était mort à la bataille de San Martino), travailla de longues années à l’étranger et revint à Balme à l’âge de 60 ans. Homme de biens, cultivé et riche en idées (il était abonné à l’Hérald Tribune), il prit femme, eut deux enfants, devint maire du pays et construisit outre le Café Central, une maison au hameau des Cornetti, sur la façade de laquelle les touristes admirent encore la belle balustrade en bois où figure gravé le nom de son propriétaire.

Dans les années qui suivirent, le café fut acheté par la famille Bricco Camussòt, propriétaire du célèbre hôtel, qui le reconstruisit après l’incendie désastreux du 25 novembre 1991 et qui le gère encore aujourd’hui.
Le café qui contient de nombreux souvenirs de la culture traditionnelle de Balme est le point de ralliement de l’Association de Culture Franco-provençale LI BARMENK et du goupe homonyme de musique traditionnelle qui regroupe de jeunes musiciens des différents villages des Vallées de Lanzo.

93 Hôtel restaurant Delfino (vers 1920)
94 Gian Pietro Castagneri dit Gianpé devant le Café Central (1914) 95 Gian Pietro Castagneri dit Gianpé au Pian di Gioé (vers 1920)

19)

La trattoria Bricco au Pian della Mussa

La trattoria Bricco est un point de départ historique, riche des souvenirs de la grande époque des guides de Balme, elle est située en un lieu particulièrement pittoresque du Pian della Mussa, près des chalets qui pendant le bref été abritent encore les troupeaux du bétail des Castagneri Touni.

Aux mois de mai et juin dans les prés derrière les chalets, il est possible d’assister au spectacle pittoresque des nombreux groupes de bouquetins descendus brouter les bourgeons après un long hiver passé à ruminer les herbes sèches que le vent découvre entre les neiges de la haute montagne.

Cet animal, déjà présent aux siècles passés, fut ensuite chassé jusqu’à son extinction, tant pour les vertus médicinales et magiques que la superstition attribuait à la poudre de ses cornes, qu’à son sang séché et jusqu’au cartilage en forme de croix qui se trouvait dans le cœur de l’animal.

Ayant survécu à grand peine dans le Parc du Grand Paradis, depuis quelques décennies, les bouquetins ont réinvesti spontanément le territoire de Balme où ils ont trouvé un habitat optimal sur les rochers raides de la Ciamarella et de l’Uja de Mondrone.

91 Pian della Mussa : restaurant Bricco (vers 1920)

92 Pian della Mussa : hôtel Delfino (vers 1915)

20)

La Locanda Alpina

La Locanda Alpina tire son origine de l’alpage rustique appartenant à la famille du guide alpin Castagneri Touni, dont les chalets se situent juste dans la première partie du Pian della Mussa (nommée à juste titre « la Mussa dìi Touni ».
Dans les locaux de la trattoria sont conservés photos et portraits de l’alpinisme local, surtout de Giovanni Battista Castagneri (1895-1940), guide alpin et propriétaire du local encore géré par la famille.

Sur les pentes du Roc Neir qui sépare le Pian della Mussa supérieur de l’inférieur, se dresse le grand volume en style belle époque de l’hôtel Broggi (puis Savoia), construit en 1899 avant l’ouverture de la route carrossable de Balme au Pian della Mussa et qui fut à l’époque un des plus luxueux hôtel de montagne des Alpes Occidentales. Dévasté par un incendie, il fut ensuite reconstruit dans sa forme actuelle avant de devenir plus récemment une colonie estivale de religieux.

Sur le versant opposé au Pian della Mussa (à l’origine une étendue de pâturages) s’étend un bois de sapins planté pour protéger les sources de l’aqueduc de Turin qui fut construit dans les premières années du XXe siècle et auquel se rapportent les grands bassins de décompression situées le long de la route du Val d’Ala.

L’aqueduc, qui alimente même pour une petite part la ville de Turin, fut réalisé après l’abandon d’un projet de barrage électrique qui aurait transformé le Pian della Mussa en lac artificiel.

90 Pian della Mussa : Hôtel Broggi, puis « Savoia » (vers 1902)
88 Refuge Alpin au Pian della Mussa (vers 1930)
37/a Le Pian della Mussa pendant les travaux de construction de l’aqueduc de Turin (vers 1905)

Panneaux à placer dans le Musée

21 ) local supérieur du musée
Quand les roches nous parlent

Les maisons de Balme sont nichées à la base de très hautes parois rocheuses et de fait le nom du pays dérive du terme franco-provençal bàrmess qui signifie « abri sous roches en saillie »
Mentionnée pour la première fois au XIIIe siècle, l’implantation est probablement beaucoup plus ancienne. On trouve déjà des traces d’occupation du territoire à l’âge néolithique comme la mystérieuse roche à cupules de Bogone, improprement nommée «autel druidique », où de grandes cavités circulaires sont reliées par des sillons creusés dans la roche à un grand billot lui aussi de pierre, creusé au sommet de la roche. D’autres cupules, de dimensions assez diverses, se retrouvent en de nombreux autres lieux de la commune, comme dans les vallées voisines.

Les roches de Balme présentent des centaines d’autres gravures qui nous parlent de temps plus proches de nous.
Ce sont les inscriptions des bergers, généralement des enfants qui grimpaient avec leurs chèvres sur la grande paroi dominant le village, exposée au soleil et presque toujours dégagée de la neige, en recherche d’une pâture maigre, mais pourtant précieuse, pendant les journées brèves de l’hiver.

Nombre de ces inscriptions sont assez éloquentes quant à l’éducation forcée d’alpiniste des petits Balmais de l’époque qui se retrouvaient dans des lieux escarpés et parfois presque. Inaccessibles. Ces inscriptions nous donnent des dates, des noms et parfois des observations sur le temps (le brouillard monte, il fait froid), des maximes de vie (nous devons tous mourir) et elles servaient probablement non seulement de point de ralliement en cas de mauvais temps, mais aussi en quelque sorte à prendre possession du lieu.

Elles reprennent parfois de très anciens motifs décoratifs comme la rosace ou la roue solaire venant de la préhistoire, qui étaient tracées sur la roche avec un clou et en utilisant comme compas l’écuelle de bois que l’on portait toujours avec soi. Parmi elles, a été conservée un étrange disque de pierre percé avec la représentation d’au moins cinq disques solaires tous différents, retrouvé il y a longtemps parmi les débris laissés par une avalanche de neige. D’autres inscriptions, comme celle tracée au Crest dou Djinévré par les frères Martinengo Cianìn en 1866, et maintenant transportée au Musée, nous transmettent les noms de ceux qui construisirent un passage aérien pour surmonter un escarpement autrement infranchissable. D’autres enfin illustrent une foi religieuse ingénue comme celle de ce berger qui salue « tous ceux au paradis à condition d’y parvenir ».

45 Inscription de berger à l’Alpe Rossa
46 Le dit « autel druidique » de Bogone
47 Tchinài d’Laventchìa : gravure à gamme de musique

22) Local supérieur du Musée
Quand la roue n’existait pas

Avant 1887, quand fut construite la route carrossable, il n’existait, sur tout le territoire de Balme, aucun parcours où l’on puisse utiliser un véhicule à roue. Tout type de transport devait donc se faire à dos d’homme puisque entretenir un âne ou un mulet était un luxe que seulement peu de gens pouvaient se permettre. De temps immémorial, avait été mise au point une technologie adaptée à la nécessité de déplacer les divers matériaux nécessaires à l’économie locale liée au pastoralisme et à une agriculture de subsistance.

Le fourrage était transporté sur le dos avec de grandes charges dont le poids pouvait varier de 50 à 100 kilos, dites courdàiess, liées serré sur un châssis de bois, la fraskéri.
Le garbìn, panier cubique avec une cavité pour abriter la tête, était utilisé pour porter des matériaux très lourds. Par rapport à la cabàssi, la hotte, utilisée au contraire pour les choses plus légères, il a l’avantage de ne pas contraindre à se pencher en avant et de ne pas couper la respiration. On l’utilisait aussi pour le transport du fumier et pour remonter la terre, à chaque printemps, sur des champs fortement inclinés.

La luge servait pour le transport non seulement du fumier, du foin et du bois, mais aussi des pierres, du sable et d’autres matériaux de construction. Le modèle en usage à Balme, apparemment simple, fait preuve au contraire de solutions techniques sophistiquées permettant de réduire le poids de l’appareil sans porter préjudice à sa robustesse et sa flexibilité, en évitant tout cloutage et avec l’utilisation de quatre types de bois, bien différents (érable ou saule pour les patins, frêne pour les montants, mélèze pour le châssis, cytise ou noisetier pour les poignées). Les mesures même des différentes parties (qui varient d’un village à l’autre) sont le résultat de siècles d’adaptation aux pratiques d’un milieu spécifique. Le véhicule qui en résulte est particulièrement maniable et permet à un homme de transporter seul de 400 à 500 kilos de matériaux.

Le garbìn et la luge nous sont probablement venus en héritage des activités minières pratiquées de la fin du Moyen-âge jusqu’au XVIIIe siècle.
Pour attacher les charges, l’on ne faisait pas de nœuds qu’il aurait été impossible de dénouer, surtout s’ils étaient mouillés ou gelés, mais on utilisait un outil particulier et autobloquant, la tròi, sur laquelle la corde reste bloquée par sa traction même, mais qui peut être facilement dénouée en tirant le bout libre.

48 Le travail des enfants
49 Balme sous la neige (vers 1910) 50 La luge de Balme et celle d’Ala

23 ) local supérieur du Musée
Mineurs bergamasques et valsesians

Durant de longs siècles, du Moyen-âge à la fin du XVIIIe siècle, les Vallées de Lanzo virent une importante activité minière, liée surtout à l’extraction et au travail du fer.
Les gisements se trouvaient pour la plupart en haute montagne et le minerai était transporté à l’aval par luge pour être raffiné dans différents « fours » situés dans chacune des trois vallées. Le métal ainsi obtenu était ensuite transformé en serrures à Cérès et surtout en clous à Mezzenile, Pessinetto et Traves

Les métiers de mineurs et de forgeron étaient à haut niveau technologique, importants du point de vue économique, mais encore plus du point de vue politique, car permettant la production d’armes et surtout d’artillerie (les premières bouches à feu piémontaises furent justement fondues à Lanzo). En outre, les mineurs, accoutumés à creuser des galeries et manipuler des explosifs, étaient de bons soldats.

Pour ces raisons, les Ducs de Savoie favorisèrent la venue de main d’œuvre et d’entrepreneurs spécialisés des régions alpines où la métallurgie était particulièrement avancée comme la Valsesia et la région de Bergame d’où proviennent même quelques noms de famille encore répandus en Val d’Ala comme Martinengo et Castagneri. Des villages entiers de nos vallées furent peuplés de ces immigrés qui gardèrent pendant longtemps leurs usages et leur propre langage. Le hameau Li Fré, qui signifie « les forgerons », garde le souvenir de ces époques.

Du Val d’Ala, les Castagneri s’en allèrent ouvrir des mines de fer et des forges dans divers villages de la Savoie voisine où ils acquirent renommée et richesses comme fabricants de tôle. Il venait peut-être justement de Balme, cet Antonio Castagneri tòlaro cité dans un billet trouvé en 1933 pendant les travaux de restauration de la basilique de Superga dans la sphère portant la croix au sommet de la coupole.

« Le 18 juillet 1726, a été montée au-dessus de cette basilique royale la présente croix avec l’assistance des Signori Pietro Giovan Audifredi di Guarene couvreur de la présente basilique et G.B. Moraris également couvreur et Antonio Castagneri, tôlier et G.B. Canale, ferronnier et fabriquant de la présente croix ».

Grâce à l’industrie du fer, les vallées connurent un certain bien-être, mais ensuite, à partir du XVIIIe siècle, l’activité minière entra en crise, soit du fait de la concurrence de gisements plus riches, soit du fait de l’épuisement des bois, détruits pour alimenter les forges.
Dans une vallée étroite et en grande partie rocheuse, la population dut s’adapter et survivre avec les maigres ressources d’un élevage difficile et d’une misérable agriculture de haute montagne, unique alternative à l’émigration.

C’est alors que les Balmais se tournèrent vers une autre ressource : le commerce avec la Savoie voisine.

51
52 Les Fré, village de mineurs
53 billet daté du 18 juillet 1726 découvert pendant la restauration de la coupole de la basilique de Superga à Turin.

25) local supérieur du Musée
La marche des contrebandiers

Le village de Balme sur le versant piémontais et celui de Bessans sur le versant savoyard ne sont distants que de quelques kilomètres à vol d’oiseau, mais ils sont séparés par une barrière de roches et de glaciers qui ne descend pas sous les 3000m d’altitude. Et pourtant depuis des siècles, les deux communautés ont maintenu des liens très étroits au point que le patois de Bessans ressemble plus à celui de Balme qu’à ceux des villages voisins de la Haute Maurienne.

Encore aujourd’hui, dans les deux villages, le mot « contrebande » n’est jamais prononcé alors que l’on parle volontiers de « commerce » ou d’« échange ». Du reste, jusqu ‘en 1860, la Savoie, comme le Piémont, faisait partie du royaume de Sardaigne.
Les montagnards allaient et venaient en toutes saisons de l’année par les hauts cols d’Arnès (3010m) ou du Collerin (3206m), affrontant une marche de huit heures par des couloirs très raides et des glaciers hérissés de crevasses. Les denrées les plus diverses furent transportées selon les époques : anciennement, il s’agissait surtout du sel qui venait des salines de Provence en échange de riz piémontais, alors que plus récemment se sont échangés, tabac, café, chocolat, poudre à fusil, mouchoirs de soie, huile d’olive et autres.
Le chargement pouvait avoisiner les soixante kilos selon la force du porteur, mais on se souvient aussi de porteuses dont la légendaire Gina dìi Toùni, sœur du célèbre guide Antonio Castagneri, qui, disait-on, portait sa charge d’Avérole au Pian della Mussa sans s’arrêter et sans s’ôter la pipe de la bouche.
Le passage se faisait souvent de nuit pour éviter la surveillance des gendarmes et l’on raconte encore à Balme de tristes récits de malheurs comme celui d’Angelo Castagneri Barbisìn qui, en novembre 1864, à l’âge de vingt ans, tomba dans une crevasse du glacier d’Arrnès et n’en fut retiré, bien gelé, mais encore vivant, que huit jours après. Seulement pour mourir un an plus tard dévoré par la gangrène.

54 Crevasse au glacier d’Arnès
55 Giovanni Ferro Famil Voulpòt (caricature de Tino Aime)

25) Local supérieur du musée

L’instinct de la chasse

Outre le commerce avec la Savoie, d’autres motivations poussaient les Balmais à grimper sur les montagnes, hiver comme été, par beau temps comme par mauvais temps.
Les montagnards ont toujours été des chasseurs acharnés, une passion qui autrefois était aussi une nécessité vitale qui complétait un régime alimentaire autrement pauvre et monotone. La viande de chamois était salée et séchée pour l’hiver (appelée en patois berna du latin « hiberna », une sorte de mocetta rustique et produite aujourd’hui avec la viande de brebis et de chèvre).

Les marmottes aussi étaient chassées – on en creusait les terriers – et constituaient un plat que les Balmais trouvent exquis encore aujourd’hui, tandis que leur graisse était retenue comme remède très efficace contre les douleurs articulaires.
Les bouquetins, avant de revenir récemment en grand nombre, furent exterminés, car l’on attribuait des pouvoirs médicinaux miraculeux à leur cornes broyées et réduites en poudre. Le cartilage en forme de croix que l’on trouve dans le cœur de la bête était aussi recherché comme talisman.

Le sang de chamois sec et dissous dans du vin était tenu pour être un reconstituant efficace et quelques chasseurs perpétuent encore aujourd’hui la tradition de boire le sang encore chaud de l’animal à peine tué dans une coupe formée par les mains.
Le temps n’est pas loin où l’abattage du premier chamois constituait une sorte de rite de passage à l’âge adulte et le jeune qui ratait son coup était exposé à la risée publique. La prérogative de la chasse à la marmotte revenait aux plus anciens, à qui étaient aussi réservés les meilleurs lieux pour tendre les pièges (lou gràfi), cédés ensuite par don à un compagnon plus jeune quand venait le moment de passer le relais. La tradition voulait aussi que pour les successions, le meilleur fusil doive revenir à l’ami le plus cher.

Aujourd’hui ces usages tendent à disparaître comme décline la chasse au chamois et c’est aujourd’hui le sanglier qui prend sa place dans la gibecière du chasseur, toujours plus fréquent et dommageable aux prés et aux cultures subsistantes.

58 Giorgio et Stefano Bricco Camussòt (vers 1912) 57 Chasseurs de chamois (vers 1950)
59 Chasseurs de sangliers (décembre 2000)

26) Local supérieur du musée

Chercheurs de cristaux
La collection de Michele Castagneri Mimì

Dans toutes les vallées des Alpes, l’on recherchait avec acharnement les cristaux de toutes sortes que l’on trouve dans les moraines et cavités de roche. Les montagnards (mais parfois aussi les savants) étaient convaincus que ces cristaux affleuraient surtout à proximité des glaciers et en étaient la production.

Dans le massif du Mont Blanc, on recherchait surtout les quartz ou cristaux de roche qui allaient ornementer les lustres vénitiens. En Val d’Ala, au contraire, on extrayait les grenats appréciés pour leur couleur rouge vif et utilisés à la fabrication de modestes bijoux (surtout des boucles d’oreille) que les femmes de la vallée aimaient porter les jours de fête.

Plus récemment, le granate, comme les nomment les montagnards furent utilisés (à la place des rubis) pour réaliser les pivots des horloges de précision, tandis qu’à partir de la seconde moitié du XIXe, les cristaux du Val d’Ala partirent enrichir les collections d’histoire naturelle comme échantillons minéralogiques.

Pour quelques familles de Balme (Castagneri) et d’Ala di Stura (Alasonnati), cette profession était transmise avec les secrets relatifs du métier et encore aujourd’hui sont gardées des liasses de lettres enviées par les musées naturalistes les plus célèbres d’Europe, désireux de s’accaparer les exemplaires les plus beaux.

Parmi les chercheurs de cristaux de Balme, émerge la figure d’Antonio Castagneri Lentch (1869-1926) dit Tunìn dou Magister. Le fils de Michele Castagneri (1910-1978) dit Mimì chef du poste local de secours alpin pendant de longues années, laissa une belle collection de minéraux recueillis en Val d’Ala avec d’autres obtenus par échanges et provenant de tous les coins du monde.

Cette collection est maintenant acquise au Musée de Balme avec la donation par son héritier Giuseppe Castagneri Piarèt.

59 bis Chercheurs de cristaux
27 Local supérieur du Musée

Parlén a nòsta moda

Dans les Vallées de Lanzo, comme en Val d’Aoste et dans les vallées voisines piémontaises du Soana d’Orco, du Sangone et de la Basse Vallée de Suse, depuis plus de mille ans, on parle le franco-provençal, une langue néo-latine répandue avec de nombreuses variantes locales dans un vaste espace compris entre Lyon, Genève, Suse et Aoste. Cette région, aujourd’hui divisée politiquement entre France, Suisse et Italie doit son empreinte linguistique au règne médiéval de la Bourgogne et a constitué pendant des siècles un état unitaire, le Duché de Savoie qui avait sa capitale à Chambéry. Le franco-provençal, dit aussi patois, n’est pas seulement une langue minoritaire et comme telle protégée par l’Union Européenne et la République Italienne, elle constitue aussi l’identité d’un groupe ethnique, avec une identité culturelle précise. Elle est identifiable dans la musique et la danse, le chant et la poésie, dans l’artisanat, dans son riche patrimoine de rites et de costumes traditionnels, dans les façons de travailler la terre, de construire les maisons, d’élever le bétail, d’exploiter les ressources d’un milieu parfois hostile.

La culture franco-provençale, comme celle des autres minorités alpines (les Provençaux, les Valsers, les Tyroliens…) est une culture concrète, faite surtout d’objets, profondément liée au territoire et habituellement transmise par voie orale, mais qui n’en est pas moins sans références littéraires.

Quand que a la sèira l’aria i vint brùn
E l’primmess stèiless ou spintount an sièl Ou m’vìnhount an mant , une pr’una Tàntess béless tchòsess, couma d’an vèl

Tanti ricòrd,ricòrd d’àouti tenss
Qu’ou fant arvivri lou nòstou passà
Tanti ou sount bèli, ma que gravatènss ! Tanti ou sount brut, qu’est mièi desmentia

(Quand au soir, l’air s’assombrit
Que les premières étoiles scintillent au ciel
Me viennent en pensée comme au travers d’un voile, une à une, tant de belles choses

Tant de souvenirs, souvenirs d’autrefois Qui nous font revivre notre passé
Tant et si beaux, mais si mélancoliques Tant et si lourds que c’est mieux d’oublier)

(de « Ricord » de Quintino Castagneri 1975)
À Cérès, le Musée des Gens des Vallées de Lanzo est dédié à la langue et à la culture franco-provençale.

60 Aire linguistique franco-provençale (dessin de Claudio Santacroce) 61 Joueurs d’harmonica à la fête du patois (1998)
62 Groupe de Balmais à la fête du patois de Bulle (1989)

28) Local supérieur du Musée
viéstess d’an bòt, vêtements d’autrefois

Dans les Vallées de Lanzo comme en général dans toutes les Alpes, le costume traditionnel a un rôle important dans la culture locale et est encore porté à l’occasion des fêtes civiles et religieuses, non seulement par les groupes folkloriques, mais aussi à l’occasion d’événements particuliers, par ceux qui entendent ainsi souligner leur appartenance à la communauté de la vallée.

Autrefois, le costume au quotidien ne relevait pas du choix de chacun, mais il était imposé à l’intérieur de chaque communauté, par une série de codes comportementaux, particulièrement rigoureux, surtout pour les femmes.
Les caractères du costume dénonçaient, sans possibilité d’erreur, l’appartenance à un village tandis que des particularités permettaient de reconnaître non seulement le sexe, mais aussi l’âge, l’état-civil, la condition sociale et professionnelle et parfois jusqu’au hameau d’origine des personnes.

À Balme, le costume fut porté par toutes les femmes et la majorité des hommes jusqu’à la première guerre mondiale, quand le dramatique tribut de sang versé par les hommes de la vallée signa le début du dépeuplement et une fracture déterminante avec la culture traditionnelle dont le costume était significatif.

Le costume féminin est semblable à celui porté dans les autres villages des Vallées de Lanzo ; il se caractérise par une longue robe resserrée sur les hanches, assortie d’un tablier, de châles colorés et d’une coiffe de dentelle portée en arrière, presque sur la nuque. La croix à noeud présente un intérêt tout particulier, se composant de trois éléments en pendentif, portée haut sur le cou, avec un ruban de velours. La croix, dorée pour les femmes mariées, est en argent pour les jeunes filles et aussi semblable à celle du village de Bessans sur le versant savoyard. La présence sur la nuque de deux bandes de soie noire dénonce la condition d’épouse.

Au contraire, le costume masculin (la màii dou bort) n’existait qu’à Balme avant de se diffuser dans le reste de la vallée. Il est constitué d’un tricot de laine brute de brebis, très lourd et épais, ouvert sur le devant et ourlé d’un bord habituellement à fond rouge, richement travaillé au point de croix. Ce tricot fut porté au quotidien par les montagnards balmais jusqu’au début du XXe siècle, avant de se transformer progressivement en élément du folklore local.

Le costume masculin se complète d’une chemise de chanvre décorée de broderies et de petits plis, du gilet et du chapeau en poil de marmotte.

63 Jeunes filles en costumes devant le vieux lavoir (1890) 64 Groupe populaire de Balme (1937)
65 Mariage au Pian della Mussa (1998)

29) Local supérieur du Musée
Au temps de la fête : musique et danse

Les longues soirées d’hiver étaient propices à la musique, alors qu’en été, lors de la brève et trépidante saison de la fenaison, les occasions de jouer de la musique et de danser étaient plus rares et donc encore plus appréciées. Les musiciens étaient très demandés pour les fêtes patronales des différents hameaux où le bal constituait le moment culminant après la procession.

L’instrument le plus commun était le violon, souvent accompagné du violoncelle ou de la contrebasse. Plus anciennement, d’autres instruments, comme la vielle, la cornemuse, le fifre et le tambour, étaient très répandus, notés aussi sur le versant savoyard voisin et dans les autres vallées piémontaises.

La prédominance des instruments à cordes dura jusqu’à la moitié du XIXe siècle, quand se répandit en Europe l’usage de l’accordéon diatonique (semitoùn), suivi ensuite par l’accordéon chromatique.
Avec l’unité italienne et l’institution de la Garde Nationale, se développèrent les fanfares qui rencontrèrent de suite un grand succès avec une façon de jouer plus rapide et martiale. Dès lors, la fanfare devint un élément fondamental de la vie des villages, participant à toutes les manifestations publiques, des fêtes patronales aux solennités religieuses, des mariages aux funérailles.

Dans les vallées franco-provençales, la danse encore aujourd’hui la plus répandue, si l’on exclut l’introduction récente de danses non syncopées, est la courante qui remonte comme la gigue, la bourrée et le rigodon et autres danses encore en usage dans tout l’arc alpin occidental, aux bals de cour du XVIe et XVIIe siècles, restées dans la tradition populaire et qui ont survécu aux nouvelles modes dans des aires davantage gardiennes des traditions.

À Balme, outre une variante particulière de la courante (courènda), plus lente et cadencée que dans les autres villages des Vallées de Lanzo, on exécute, dans des circonstances particulières, la Danse des Sept Sauts, une courante figurée symbolisant la cour. Vers 1930, cette danse et sa mélodie, alors seulement connue des plus anciens, furent transmises aux jeunes par un couple d’anciens de Balme : Giovanni Castagneri (1860-1948) dit Gian Gianoùn et Luisa Castagneri (1862-1955).

66 Giovanni dit Gian Gianoùn et Luisa Castagneri (21 mai 1933) 67 Li Barmenk, groupe musical franco-provençal (1998)
68 La fanfare de Balme (25 septembre 1921)

30) Local supérieur du musée
Les sounaiess le soir du jeudi saint

Une tradition curieuse se déroule à Balme le soir du jeudi saint. Les Balmais la nomment allà sounaìa (aller faire du tapage avec les sonnailles) et elle est encore reproduite par les jeunes qui font le tour du pays en suivant un parcours établi, en faisant grand bruit avec les clarines des vaches, des cornes de bouquetins et des grands coquillages marins percés (nommés en patois lumàssess, et en forme de colimaçon) dans lesquels on souffle pour obtenir un son profond et lugubre.

Il s’agit, selon toute probabilité, d’un ancien rite païen du printemps subsistant encore, après avoir été transposé dans le culte chrétien, dans une sorte de représentation sacrée dont il ne reste que quelques vestiges.
Les coquillages (du genre Charonia Tritonis), utilisées comme instruments de musique, provenaient probablement de Provence et arrivaient à Balme par la Savoie avec le sel marin dont il se faisait grand commerce.

31)

Local inférieur du musée

La saga de Tòni dìi Toùni

Le Musée des Guides Alpins est dédié à la figure d’Antonio Castagneri (1845-1890), dit Tòni dìi Toùni, un des plus grands guides alpins de tous les temps, qui collectionna au moins 43 premières, se posant de loin au premier rang des guides italiens et français, précédé en Europe seulement par les Suisses, Christian Almer, père et fils.

Appartenant au clan des Castagneri, Touni, propriétaires depuis des temps immémoriaux des alpages du Pian della Mussa et donc naturellement investis du rôle de gardiens des cols, Tòni débuta en 1867 en accompagnant à la Ciamarella le comte Paolo de Saint Robert, un des fondateurs du Club Alpin Italien. Tòni est un homme vigoureux, intelligent et entreprenant ; il ne laisse pas passer l’occasion d’embrasser une profession, celle de guide qui offre une alternative à la vie misérable du montagnard et au chemin douloureux de l’émigration. Dans un premier temps, son activité se déroula sur les cimes des Vallées de Lanzo, puis ce fut le tour d’autres sommets fameux dans le massif du Mont Viso, dans le Dauphiné, au Grand Paradis, au Mont Rose et dans l’Oberland Bernois.

En 1874, en compagnie d’Alessandro Martelli et de Luigi Vaccarone, il inaugura la période de l’alpinisme hivernal italien avec l’ascension de l’Uja de Mondrone accomplie la veille de Noël. Deux ans plus tard, le même Quintino Sella, Président du Club Alpin Italien, le voulut avec lui pour l’ascension du Cervin, lui confiant particulièrement l’un de ses fils.

Mais c’est la rencontre avec Guido Rey qui confirma la célébrité durable d’Antonio Castagneri
Pour le grand alpiniste et écrivain de montagne, Tòni est le guide par excellence et définition, un maître de l’alpinisme.

C’est à l’âge de quarante-cinq ans, au sommet de sa carrière, que survient la fin dramatique d’Antonio Castagneri, par certains côtés mystérieuse, et qui scellera sa légende pour toujours.
Durant l’été 1890, le jeune compte Umberto Scarampi de Villanova, avant d’abandonner un alpinisme actif, veut gravir le Mont Blanc par une voie nouvelle. Sa mère, la marquise Valperga de Masino, le persuade d’engager les deux guides les plus recommandables pour l’entreprise, Antonio Castagneri de Balme et Jean Joseph Maquignaz de Valtournanche. Dans la nuit du 18 août, les trois alpinistes partent par la crête de Bionassay. Peu après, c’est un terrible ouragan qui se déchaîne où la cordée disparaît pour toujours. Malgré des recherches désespérées demandées par la mère du comte, leurs corps ne furent jamais retrouvés.

69 Antonio Castagneri devant la porte du refuge Gastaldi (vers 1880) 70 Le guide Antonio castagneri et Bruno Giacomo Comino (vers 1880)

71 Les trois victimes de la catastrophe du Cervin (1890)

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Les Touni de Balme

Antonio Castagneri sut créer à Balme un groupe solide de guides et de porteurs.

D’abord, ce furent les familiers mêmes de Tòni, l’oncle Battista (1815-1895) qui, à l’âge de 56 ans, débuta comme guide en participant à la tentative d’ascension de la Barre des Écrins, les frères Andrea dit André (1848-1940), Giuseppe, dit Gep (1855-1927) et sa sœur Maria Teresa dite Gina (1851-1929), porteuse, accoutumée à passer les cols de Bessans à Balme (huit heures de marche), avec trente kilos sur le dos et sans jamais retirer la pipe de sa bouche.

Dans les années qui suivirent, tous les hommes du clan des Touni furent porteurs avant d’être guides à leur tour. Quelques-uns partagèrent le destin tragique de Tòni, comme Domenico Castagneri Tucci dit Minòt da Sigala (1851-1912) qui, après une très longue carrière, trouva la mort le 12 août 1912 en tombant avec un client dans la paroi nord de la Pointe d’Arnès. Mourut aussi en montagne son fils Giuseppe Castagneri (1883-1921) dit Rous, qui dévissa le 24 octobre 1921 dans le couloir de l’Urgiéri tandis qu’il faisait rouler des troncs dans la paroi rocheuse. Les fils de Tòni, Pietro et Pancrazio furent aussi des guides assez appréciés et le premier Pietro, dit Mulòt (1879-1946) assuma de nombreuses années le rôle de chef des guides à Balme.

Toujours parmi les Castagneri Touni, l’on peut évoquer de nombreux autres guides qui laissèrent leur empreinte, ouvrant de nouvelles voies sur toutes les montagnes de la région. Les noms sont toujours les mêmes, Giovanni Battista, Pietro, Pancrazio, Andrea. Il est plus facile de s’en souvenir comme le font encore aujourd’hui les Balmais avec leurs surnoms pittoresques comme Pérou d’Giouanìna, Lou Gross, Peroulìn d’André, L’Aria, jusqu’aux derniers descendants de la dynastie encore actifs dans les années du second après-guerre, comme Pancrazio Castagneri dit Gin Tounìn (1895-1970) et Francesco Andrea Castagneri dit Brac (1904-1976).

De nombreux Castagneri, de lignage différent de celui des Touni, furent eux aussi de bons guides alpins et porteurs, comme Sasc d’Carloun, Mignoulìn d’Minoùia, Toni Vis, Griseul, Barbisìn, Biount d’Peilàt, solides montagnards qui complétaient les maigres ressources du pastoralisme et de l’agriculture de montagne avec une activité parfois dangereuse, mais pour eux habituelle et même appréciée.

72 Pian della Mussa : Antonio Biogiatto dit Lou Gloria, don Angelo Castagneri (curé de Balme) et Giuseppe Castagneri Touni dit Gep (photo prise le 18 août 1989) à l’occasion de l’installation de la Vierge au sommet de la Ciamarella)
73 Uja di Ciamarella : le guide Jean-Baptiste Castagneri Touni dit Lou Gros avec des clients (vers 1930)

74 Les séracs du glacier de la Ciamarella (1897) 33)

Les dynasties de guides : Boggiato, Bricco et Tetti

Si les Castagneri continuèrent à se tailler la part du lion, des Balmais d’autres souches abordèrent la profession de guide, non seulement dans leurs montagnes, mais aussi pour des ascensions dans d’autres massifs.
Antonio Boggiato, dit Lou Gloria (1844-1911), fut le compagnon inséparable de Toni dìi Touni dans de nombreuses premières et assuma, durant de longues années, le rôle de doyen des guides balmais. Pour poursuivre la tradition, il y eut son fils Giacomo, dit justement Giacoulìn dou Gloria (1871-1933) et les petits fils Giovanni Battista Castagneri Lentch dit Titìn Cafè (1878-1967) et Domenico Castagneri dit Taròc (1896-1965).

Une autre famille de guides illustres fut celle des Bricco, eux aussi divisés en plusieurs branches, mais tous chasseurs légendaires de chamois, comme Battista dit Tita Bric (1823- 1895) et son fils Luigi.

C’était aussi un Bricco, ce Giacomo dit justement Camussòt (1845-1904) qui fonda une longue dynastie d’hôteliers de montagne. Michele Bricco, dit Minassèt (1864-1946), fut actif pendant plus d’un demi-siècle et eut parmi ses clients nombre de Français et d’Anglais (avec l’un d’eux il effectua l’ascension du Mont Blanc en partant directement de Balme). On s’en souvient comme « le guide du pape » pour avoir accompagné au Breithorn le prêtre Achille Ratti devenu ensuite Pie XI. Son fils Antonio Bricco dit Travinèl (1895-1949) fut considéré comme le meilleur « rocassier » des guides balmais, et entre autres ascensions, il parcourut, avec le comte Umberto Murari di Bra, la crête nord-est de la Bessanèse, alors nommée « Arête Murari », aujourd’hui tenue pour être la voie alpine la plus classique des Vallées de Lanzo.

Pour rester dans la même vallée, il y eut aussi à Mondrone des guides alpins très valables comme Domenico Solero Sevan dit Minòt et Michele Drovetto dit l’Arcà tandis qu’à Ala di Stura, outre les Maronero, les Bruneri et les Perrachione, se signalèrent surtout Paolo Tetti et ses fils Lino et Guido. C’est à cette dynastie qu’appartient aussi Piero Tetti, dernier guide de la vallée d’Ala encore en activité. Gino Gandolfo, Alais d’adoption, fut lui aussi un guide apprécié, victime d’un accident de montagne survenu pendant un exercice à l’école d’escalade de la Courbassère.

75 Le guide Battista Castagneri, dit Titìn Café et Giacomo Boggiatto dit Giacoulìn dou Gloria (vers 1910)
76 la Bessanèse : le guide Antonio Bricco dit Travinèl (vers 1920)
77 L’Uja de Mondrone : le guide Antonio Boggiatto dit Lou Gloria et ses clients (vers 1900)

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Les guides en visite chez le Pape alpiniste

Les guides des Vallées de Lanzo eurent d’illustres clients et parmi eux un prêtre lombard Achille Ratti (1857-1939), qui devait devenir pape de 1922 à 1939 sous le nom de Pie XI.
Le jeune Ratti, alpiniste éprouvé et auteurs de premières remarquées (dont une au Mont Blanc), avait fréquenté les Vallées de Lanzo et en gardait un souvenir agréable, même si l’on raconte qu’un curé savoyard lui refusa la permission de célébrer la messe, doutant qu’il fut réellement un prêtre, puisqu’il voyageait en habit bourgeois.

Devenu pape, il invita à Rome les guides qui l’avaient accompagné dans sa jeunesse et ceux-ci se rendirent en audience à Rome, arrivant de tout l’arc alpin et se présentant, comme il était alors d’usage, en grande tenue de montagne avec même cordes et piolets. Les guides de Balme, Ala et Usseglio étaient accompagnés dans ce voyage par Eugenio Ferreri (1892-1946) lui aussi guide et alpiniste. Un refuge en Val Grande de Lanzo est dédié à la figure d’Eugenio Ferreri, écrivain de montagne, commissaire préfet de Balme et secrétaire général du CAI.

80 Les guides des Vallées de Lanzo à Rome, à l’occasion de la visite au Pape Pie XI (26 juillet 1929)
80 bis Diplôme de bénédiction apostolique remis au guide Michele Bricco dit Minassèt (Cité du Vatican 26 juillet 1929)

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Les outils du métier

Les montagnards qui parcouraient les glaciers n’utilisaient pas encore le piolet, mais la cravìna, sorte d’alpenstock ou bâton ferré avec un bout à trois pointes, dont une droite et les deux autres repliées en crochet. Un outil de chasseur, adapté à extraire de leurs terriers renards et fouines, mais surtout les marmottes dont les repaires étaient creusés pendant leur léthargie hivernale. La cravìna était aussi utilisée par ceux qui faisaient commerce avec la Savoie pour ralentir la descente a raspà au long des pentes raides de neige durcie, technique aujourd’hui déconseillée par les manuels d’alpinisme, mais utile quand l’on est pressé et que l’on est très chargé. On s’assoit sur les talons, on porte le poids du corps (et de la charge) sur la cravìna et on se laisse glisser en réglant sa vitesse avec plus ou moins de pression sur elle.

Pour monter, on utilisait au contraire les sérquiou, un type particulier de raquettes à neige assez répandu autrefois dans la haute vallée qui est une adaptation du modèle traditionnel (fait d’un cadre en bois et de cordes tressées) avec la nécessité de se déplacer dans des montées particulièrement raides. Les sérquiou sont faits entièrement de planchettes de bois qui remplacent les cordes, tandis que le cadre n’est plus rond (malgré le nom), mais provient d’une bande de frêne recourbée en fer à cheval. Les sérquiou sont ainsi beaucoup plus robustes que les raquettes normales et peuvent être chaussées de façon à ce que la pointe de la chaussure arrive sur le bord antérieur de la raquette, permettant de tailler des marches sur une pente raide de neige durcie. Les sérquiou ne peuvent être confondus avec les raquettes en échelle dites justement stchalàt, elles aussi en bois, mais de forme rectangulaire, utilisées pour battre la piste pour la luge.

Quand la neige était très dure ou même qu’émergeait la terrible glace noire, dure et vitreuse, on chaussait les gràpess ou grepìn, crampons rudimentaires à quatre ou six pointes, utilisés aussi sur les pentes herbeuses abruptes.
Le matériel du porteur comprenait le garbìn ou bien la portantina, un châssis de bois muni de bretelles robustes, destiné à accueillir un poids rarement en dessous des trente kilos pour atteindre souvent cinquante ou plus. Le musée possède un morceau de portantina trouvé aux environs du Col d’Arnès, vers 3000m, en septembre 1990, suite au détachement d’un bout du glacier, probablement reste d’un accident dont la mémoire s’est perdue.

78 Groupe de guides et alpinistes près du refuge Gastaldi (vers 1880) 79 Pente gravie à l’aide du piolet et de la cravìna (vers 1880)

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Sans chaussures et sans lunettes noires

Les chaussures étaient un luxe pour les gens des vallées et les chaussures cloutées ne furent introduites que tardivement. Auparavant, on utilisait des sabots de bois (eux aussi cloutés), mais il était habituel d’aller déchaussé, même en haute montagne (et jusque sur la neige !). Avant d’affronter des passages délicats, sur des rochers raides et lisses, on recourait parfois au système d’uriner sur ses pieds nus pour que l’épiderme humide adhère mieux sur la pierre sèche.

Les alpinistes, avant d’entreprendre une ascension engagée se faisaient ajouter quelques clous aux chaussures et pour cela, il y avait à Balme quelques cordonniers (tchalìa) ; l’un d’eux, Fedele Castagneri dit Grisèul (1884-1951), lui-même guide, fit ensuite fortune à Turin en devenant fabricant de chaussures de montagne de haut niveau et même fournisseur le la Maison Royale.

Les clous utilisés (généralement fabriqués en basse vallée) étaient de divers types (bullette, brocchette, tricoùni…) et la forme classique du cloutage fut reprise pour les premières semelles Vibram vendues seulement après le second après-guerre.
La réverbération du soleil sur la neige était souvent à l’origine de graves ophtalmies et il n’était pas rare que les vieillards deviennent presque aveugles. Avant l’introduction des lunettes de glacier, la seule précaution prise consistait à se noircir le visage autour des yeux avec un bouchon de sucre roussi.

Les montagnards des Alpes se déplaçaient sur terrain enneigé avec les luges et les raquettes à neige alors que les skis, originaires de la Norvège, furent introduits par les touristes et ne furent adoptés qu’ensuite par les gens des vallées comme moyen de locomotion.

Le pionnier du ski en Italie fut Adolfo Kind, un ingénieur suisse résidant à Turin et qui, alpiniste passionné, se fit envoyer de son pays quelques paires de « sky » ; il les essaya sur les collines turinoises et affronta ensuite les premières sorties en montagne dans les vallées voisines de Suse, du Sangone et de Lanzo.

Où et quand il aurait fait la première montée relève au fond de la simple curiosité, mais il existe à ce sujet un témoignage précis, celui du lieutenant d’Artillerie de Montagne, Luciano Roiti qui accompagna Kind dans cette aventure et en écrivit le récit dans « l’Exercice Italien » du 12 mars 1987.

« Me rendant à Balme, dans les vallées de Lanzo au Pian della Mussa, avec mes deux amis, l’ingénieur Kind et son fils, j’eus à vérifier pour la première fois toute l’utilité de ces patins. La neige était couverte d’une couche gelée, ne pouvant soutenir le poids d’un homme à pied ; et pourtant, quant à nous, bien que peu pratiquants de l’usage des skis, nous pûmes parcourir le trajet en moins d’une heure, laissant à peine trace de notre passage.

Une autre fois, le 24 janvier, nous avons traversé, dans des conditions de neige bien différentes, le contrefort qui sépare le vallon de Sangonetto de la Vallée de Suse, partant de Borgone (398m d’altitude), suivant la crête où se trouvent les maisons de Mongirardo et rejoignant la crête au Monte Salauria à 2085m. De là nous descendîmes à Giaveno. Un aspect assez notoire était celui-ci : celui qui ouvrait la marche devait comprimer la neige et tracer la piste avec un certain effort alors que les deux autres en suivant ses traces, se fatiguaient beaucoup moins et laissaient derrière une piste faite et sur laquelle à mon avis des hommes à pied auraient pu marcher commodément et je ne cache pas que je pensais à ma spécialité d’arme, me disant que nos canons de montagne, placés sur des luges adéquates auraient pu nous suivre. »

28/a Skieurs vers le Pian della Mussa (vers 1910 28/b Champs de ski à Balme (vers 1910)

38) Bar National
Pietro Castagneri dit L’Aria, le fondiste « rapide comme le vent »

Quand le ski fit sa première apparition à Balme, c’est avec méfiance et curiosité que les gens de la vallée observèrent les évolutions et probablement les chutes catastrophiques des premiers skieurs, mais au cours des années suivantes, quelques-uns commencèrent à approcher ce sport. Pendant la première guerre mondiale, de nombreux jeunes de la vallée, encadrés par les troupe alpines, purent apprendre les rudiments du ski et ceux qui survécurent aux tranchées, comme Pietro De Matteis dit Nissòt, Andrea Castagnei dit Brac, Francesco Mantero dit Càtchiou, participèrent aux premières courses avec enthousiasme. Le plus fort de tous fut Pietro Castagneri, dit L’Aria (1906-1967), qui signifie le vent pour sa rapidité. L’Aria fut champion national à plusieurs reprises, mais à Balme, comme cela se passe souvent, on s’en souvient surtout pour un exploit de couleur locale.

Nous sommes au début des années 30. Un athlète de Bardonnechia est accusé par un rival de Valtournanche d’avoir coupé un bout du parcours pendant une course. C’étaient des choses, à ce qu’il paraît, qui arrivaient assez fréquemment. Les deux hommes se défièrent et choisirent la montagne de Balme comme terrain neutre. Une grande course fut organisée et l’on attendit avec impatience de savoir qui des deux serait le vainqueur. Mais, contre toute attente, L’Aria fut le premier à arriver, si rapide qu’il comparut devant un jury qui n’était pas encore parvenu à la ligne d’arrivée.

Derrière le comptoir du Café National, alors tenu par la famille du champion, de longues rangées de coupes et de médailles sont encore là à témoigner de ces exploits mythiques.

28 bis/a Pietro Castagneri dit L’Aria, Pietro Dematteis dit Nissòt et Andrea Castagneri dit Bràc (vers 1925)
28 bis/b Remise des prix lors d’une compétition de ski à l’Hôtel Camussot, au centre Eugenio Ferreri, entouré des guides de Balme (vers 1935)

83 Skieurs au Pakinò 39) Bar Michele

Ski-club, trophées et tremplins

C’est pour accueillir les skieurs que surgirent à Balme hôtels et auberges, outre les quelques refuges ouverts aussi en hiver, comme celui du Pian della Mussa. Au succès croissant de ce sport, contribuèrent quelques associations comme l’UGET (Union des Jeunes Excursionnistes Turinois) qui remportait un large succès parmi les émigrés des vallées à la ville et la SARI (Sunt Alpes Robur Iuvenum) qui réunissait surtout les étudiants et qui construisit un refuge qui n’existe plus aujourd’hui, près des Lacs Verdi.

Le régime fasciste, à l’idéologie également favorable à la pratique des disciplines sportives, surtout encadrées par les organisations du parti, contribua dans une large mesure à diffuser la pratique du ski, à l’origine réservée à une minorité de nantis, parmi les gens des vallées et la classe ouvrière.

Un ski-club se constitua très vite à Balme et ses athlètes dans un premier temps, portèrent le costume local, la màii dou bort, avant d’endosser les modestes maillots de la Juventus, procurés par le médecin sportif de la Juventus, le professeur Borsotti, propriétaire d’une belle villa de style liberty, à l’extrémité du pays.

En absence d’installations de remontées, le fond et le ski-alpinisme furent davantage pratiqués que la descente tandis que, dans la période entre les deux guerres mondiales, furent disputés de nombreux et prestigieux trophées en haute altitude, dits « de grand fond ».

Dans ces années, quelques sports de neige connurent une grande diffusion, avant d’être réduits aujourd’hui à leur seule dimension de compétition, comme le bob, la luge et le saut. À Balme, la piste de luge occupait même la rue principale du chef-lieu que l’on déneigeait seulement à demi, afin de permettre le trafic des luges ; enfin, aux environs de Balme se dressaient deux tremplins dont il est encore possible de voir les restes.

En 1949, on construisit à Balme le téléski du Pakino, première installation de remontée des Vallées de Lanzo.

81 Lettre d’Angelo Guerciotti, Président du ski-club de Balme (5 décembre 1924) 82 Skieurs avec la maille du bord (16 février 1929)
28 ter/a Leçon de ski pour les Ballila (vers 1930)

40)

Les guides et la Belle Époque

Dans les années précédant la première guerre mondiale, un véritable abîme social séparait les montagnards des touristes fréquentant les vallées, tous d’extraction aristocratique et bourgeoise. Les gens des vallées, toutefois, même s’ils pouvaient être assimilés économiquement à la classe ouvrière des centres urbains, étaient porteurs d’une culture interne éminemment égalitaire et ne se sentaient donc pas du tout inférieurs aux vacanciers avec qui ils parvenaient souvent à établir un rapport direct et d’égalité.

Ensuite les guides, même s’ils allaient attendre le chapeau à la main les alpinistes à l’arrivée du car, se retrouvaient rapidement à opérer sur un terrain où ils étaient les plus forts, où ils partageaient avec leurs clients grabats, repas et désagréments, et où leur incombait la conduite de la cordée.

Beaucoup d’alpinistes furent profondément frappés par la désinvolture avec laquelle les montagnards se déplaçaient dans un espace qui leur apparaissait à eux comme hostile, de leur sûreté pour affronter des difficultés pour eux insurmontables, allant jusqu’à voir dans les guides la personnification rêvée par la culture romantique des vertus montagnardes. Il arrivait ainsi que s’établisse entre le guide et son client (et entre leurs familles respectives) un lien de connaissance et d’amitié qui perdurait dans le temps et qui aurait été impensable en ville entre gens d’extraction si différente.

Il arrivait fréquemment que les vacanciers éprouvent une fascination pour cette culture pauvre, mais originale et vivace, et souvent des hommes et des femmes aimaient à se faire photographier ou représenter, portant l’habit traditionnel du lieu, et aussi montrant un vif intérêt pour les usages et traditions locales.

D’un autre côté, la fréquentation des vacanciers apportait aux guides et aux habitants des hautes vallées un certain niveau d’éducation, dont parfois les mêmes clients s’étonnaient, comme des attentions dont ils étaient l’objet. On montre encore aujourd’hui à Balme la conque de mer avec laquelle Gep dìi Touni présentait à boire aux dames qui l’accompagnaient et l’on se rappelle combien était critiqué le comportement des guides des générations précédentes, plus rudes, comme Tìta Bric, qui remplissait sans plus de façon à la fontaine son chapeau crasseux.

84 Touristes devant l’Hôtel Camussò (vers 1910)
85 Au Pian della Mussa, service de portage pour l’Hôtel Savoia (vers 1900) 86 Alpinistes et guides au sommet de la Ciamarella (1897)

41)

Service civil en montagne : le secours alpin

C’est vers 1930 que commença pour les stations de tourisme alpin l’époque des grandes installations de remontées mécaniques et du ski de masse. Les montagnes des vallées de Lanzo, rocheuses et abruptes, se prêtaient mal à ce mode de développement et restèrent à ses marges, en se retaillant un rôle de centres de villégiatures tranquilles, restant aussi épargnées des dévastations du milieu et des bouleversements qui furent perpétrés dans les vallées voisines.

Balme subit le même destin et, petit à petit, après la grande période de l’alpinisme et du ski, retourna à sa vraie dimension de village de montagne où la vie liée aux activités traditionnelles de l’élevage et de l’artisanat, suit le rythme immuable des saisons et semble très loin de celui de la grande ville, pourtant distante d’à peine cinquante kilomètres.

Mais les alpinistes, turinois, italiens, étrangers, continuent à fréquenter en grand nombre les montagnes de Balme avec le nombre douloureux d’accidents qui s’en suit, parfois légers, parfois dramatiques.
Héritiers de la tradition montagnarde de leurs ancêtres qui furent successivement mineurs de montagne, gardiens des cols au temps du commerce avec la Savoie et enfin protagonistes en tant que guides de l’essor de l’alpinisme italien, les Balmais d’aujourd’hui continuent à vivre la dimension alpestre de leur village en accomplissant une tâche précieuse et irremplaçable de service civil avec le volontariat au Corps National de Secours Alpin.

La commune de Balme, qui à l’aube du nouveau millénaire, compte moins de cent habitants, garantit une équipe suffisante de volontaires en mesure d’assurer à tout moment une intervention efficace, dans des circonstances toujours pénibles, souvent difficiles et parfois périlleuses.

Presque tous les hommes valides du pays (mais les filles ne manquent pas) apportent leur concours comme secouristes, de la première jeunesse jusqu’au seuil de la vieillesse, sans rien réclamer, et persuadés d’accomplir simplement leur devoir, celui qui revient depuis toujours, dans chaque vallée, aux habitants du village le plus élevé, dernière implantation humaine sur le chemin des sommets.

91 Torre d’Ovarda : récupérer les morts en montagne (1948)
92 Au refuge Gastaldi, Giuseppe Rossato, Giuseppe Ferro Famil Voulpòt et Michele Castagneri Mimì (vers 1970)
93 Bruno Molino (1930-1984)

42) Arbre généalogique des guides Castagneri Touni

Les guides de Balme

  1. Boggiatto-Giachìn Antonio de Giacomo (1844-1911) dit Lou Gloria
  2. Boggiatto-Giachìn Giacomo d’ Antonio (1871-1933) dit Giacoulìn dou Gloria
  3. Bricco Bric Giovanni Battista de Luigi (1823-1895) dit Tìta Bric
  4. Bricco-Bric Luigi de Giovanni Battista (1862-1939) dit Louìss dìi Bric
  5. Bricco-Roc Giacomo de Giorgio (1845-1904) dit Camussòt
  6. Bricco-Roc Giorgio de Giacomo (1888-1957) dit Giors Camussòt
  7. Bricco-Minàss Michele de Domenico (1864-1947) dit Minassàt
  8. Bricco-Minàss Antonio de Michele (1895-1949) dit Travinèl
  9. Castagneri-Cafè Giacomo de Giuseppe (1865-1898) dit Giàcou Cafè
  10. Castagneri-Cafè Antonio de Giuseppe (1870-1912) dit Tòni Cafè
  11. Castagneri-Cafè Battista de Giuseppe (1878-1967) dit Titìn Cafè
  12. Castagneri-Carloùn Francesco de Carlo (1873-1964) dit Sàsc Carloùn
  13. Castagneri-Fràtin Pietro de Michele (1901-1978) dit Peirèul
  14. Castagneri-Fràtin Natale Vincenzo de Michele (1903-1996) dit Bioùnt at Peilàt
  15. Castagneri-Fradlìn Fedele d’Antonio (1884-1951) dit Griseùl
  16. Castagneri-Gianàngel Antonio de Battista (1842-1914) dit Barbisìn
  17. Castagneri-Gianàngel Angelo d’Antonio (1875-1935) dit Nàngel
  18. Castagneri-Louìss Antonio de Pietro (1862-1936) dit Tòni Vis
  19. Castagneri-Magna Giovanni Angelo de Gianbernardo (1850-1892) dit Magna
  20. Castagneri Minoùia Pietro de Domenico (1864-1912) dit Pérou at Minoùia
  21. Castagneri-Minoùia Domenico de Pietro (1896-1965) dit Taròc
  22. Castagneri-Minoùia Franco de Domenico (1933-vivant) dit Franco at Taròc
  23. Castagneri-Minoùia Giovanni Battista de Domenico (1870-1935) dit Mignoulìn
  24. Castagneri-Minoùia Domenico de Giovanni Battista (1897-1935) dit Paìs
  25. Castagneri-Minoùia Pietro de Francesco (1903-1983) dit Rouss at Kin
  26. Castagneri-Piarèt Giuseppe de Pietro (1860-1931) dit Piarèt
  27. Castagneri-Renss Giovanni Battista de Pancrazio (1869-1946) dit Lourènss
  28. Castagneri-Touni Giovanni Battista de G.Antonio (1815-1895) dit Giambatìsta dìi Touni
  29. Castagneri-Touni Giovanni Antonio de G.Battista (1858-1939) dit Tounìn dìi Touni
  30. Castagneri-Touni Battista de Giovanni Antonio (1883-1915) dit Tìta at Tounìn
  31. Castagneri-Touni Michele de Giovanni Antonio (1884-1943) dit Chel at Tounìn
  32. Castagneri-Touni Pancrazio de Giovanni Antonio (1895-1970) dit Gin at Tounìn
  33. Castagneri-Touni Pancrazio Antonio de G.Battista (1868-1926) dit Pancrasìn dìi Touni
  34. Castagneri-Touni Giovanni Battista de Pancrazio Antonio (1895-1940) dit Lou Gròss
  35. Castagneri-Touni Gian Pietre de Pancrazio (1830-1920) dit Pérou at Giouanìna
  36. Castagneri-Touni Antonio de Pietro Maria (1845-1890) dit Tòni dìi Touni
  37. Castagneri-Touni Pietro Maria d’Antonio (1879-1942) dit Mulòt
  38. Castagneri-Touni Pancrazio d’Antonio (1881-1940) dit Rìssa
  39. Castagneri-Touni Francesco Andrea de Pietro Maria (1848-1940) dit André dìi Touni
  40. Castagneri-Touni Pietro Maria de Francesco Andrea (1882-1917) dit Peroulìd’André
  41. Castagneri-Touni Francesco Andrea de Pietro Maria (1904-1976) dit Bràc
  42. Castagneri-Touni Giuseppe Antonio de Pietro Maria (1855-1927) dit Gep dìi Touni
  43. Castagneri-Tucci Domenico de Giuseppe (1851-1912) dit Minòt da Sigàla
  44. Castagneri-Tucci Giuseppe de Domenico (1883-1921) dit Rouss at Minòt
  45. Castagneri-Tucci Giuseppe Ignazio de Pietro (1894-1942) dit Pin at Tucci
  46. Dematteis-Limoùn Giovanni Battista de Michele (1899-1961) dit Tìtou
  47. Ferreri Eugenio (1892-1946)
  48. Henry Paolo (1939-vivant)
  49. Mantero Francesco de Giuseppe (1899-1954) dit Càtchiou
  50. Molino Bruno (1930-1984)